L'ATTENTION, LES APPRENTISSAGES ET LES HABILETES AUDITIVES

par Danielle Noreau, orthophoniste

 

Parmi les élèves présentant des difficultés d'apprentissage, existe un sous-groupe d'enfants qui éprouvent des difficultés spécifiques à traiter l'information auditive. Il semble que ces jeunes soient moins compétents à maîtriser les diverses habiletés auditives.

Qui sont ces élèves? Comment se manifestent leurs difficultés? Quelles sont les habiletés auditives dont il est question et œmrnent proposer une intervention adaptée?

Cet article répondra sommairement à ces questions et tentera d'éclairer ce sujet difficilement observable que sont les habiletés auditives.

L'histoire d'Antoine

Antoine a six ans, il est en première année. Son fonctionnement à la maternelle n'a pas attiré l'attention de l'enseignant au-delà d'observations du type • joue souvent seul, ne comprend pas toujours les consignes données verbalement-; cela, malgré une attitude démontrant un niveau suffisant de concentration et d'attention.

En classe de première année, Antoine semble attentif. Il regarde l'enseignante, ne lève jamais sa main pour répondre aux questions ou demander des éclaircissements. Il vérifie souvent sur ses voisins pour s'assurer qu'il a bien compris. Lorsqu'il n'a pas saisi la consigne, il l'exécute à partir des quelques éléments compris. Il cherche un soutien visuel.

En situation individuelle, Antoine a un bon contact visuel et nous démontre une attitude corporelle -d'écoute- mais fait souvent répéter. Il se questionne sur le sens de mots simples et il peut confondre deux mots qui ne diffèrent que par un seul phonème (coussin -poussin).

Au gymnase. Antoine ne suit pas du tout les consignes; il semble plus désorganisé et il manque de repères visuels. Antoine éprouve des difficultés avec certaines habiletés auditives comme la discrimination auditive, l'attention auditive et la séparation figure-fond. Il cherche souvent quoi ou comment faire car les directives données oralement ne sont pas suffisantes pour lui. II apprend difficilement et commence à accumuler des retards.

Mais Antoine ne sait pas qu'il doit agir face à ce déficit. II n'est pas-conscient de ses lacunes et n'a développé aucune stratégie compensatoire pour s'aider. Les parents d'Antoine n'ont pas remarqué, non plus, ces difficultés car dans le contexte de la routine quotidienne et de l'environnement familier, Antoine est relativement fonctionnel. Il présente toutefois quelques petites particularités : par exemple, il fait souvent répéter parce qu'il ne répond pas du premier coup.

C'est cependant en classe, avec le vocabulaire relié aux apprentissages et les nombreuses demandes verbales, que la difficulté se manifeste de façon plus marquée.

Il ne faut pas attendre que les retards s'accumulent et que l'élève soit dépassé, démotivé, découragé avant d'intervenir. Il ne faut pas non plus interpréter ces manifestations comme étant un manque d,e volonté de la part de l'élève.

Du son à la compréhension

Les processus auditifs sont nombreux et permettent le traitement de l'information reçue par voie auditive.

Ainsi, pour être un bon récepteur et bien comprendre les messages verbaux, un individu doit être en mesure :

Une acuité auditive normale assure le sujet que le message sera bien acheminé, par le biais de l'oreille et du nerf auditif, au cortex cérébral responsable de la perception auditive. L'oreille est responsable de capter et de transformer l'onde acoustique en influx nerveux.

L'aire auditive, pour sa part, perçoit, analyse;ri traiter, et organise l'information pour en dégager le message: l'interprétation est faite à partir de l'habileté du sujet a bien traiter les stimuli.

L'enfant, qui maîtrise moins bien certaines habiletés auditives, éprouvera nécessairement des difficultés à traiter les messages auditifs. Il recherchera davantage Tes soutiens visuels pour supporter son interprétation.

Les habiletés auditives s'acquièrent et se développent en relation étroite avec les nombreuses autres fonctions cognitivo-linguistiques.

Qui sont les élèves susceptibles de présenter un tel déficit?

L'enfant, qui a présenté des épisodes fréquents d'otites à répétition en bas âge, est plus à risque d'éprouver des troubles perceptuels auditifs. Si ces otites s'accompagnaient de pertes auditives conductives (présence de liquide dans l'oreille moyenne) sur de longues périodes de temps, l'enfant était privé d'un signal auditif de qualité. Il pouvait réagir en évitant d'écouter puisque les messages étaient altérés sur le plan qualitatif.

Le jeune enfant présentant un déficit d'attention est susceptible, lui aussi, de moins bien développer ses habiletés auditives puisque son niveau d'attention ne peut être maintenu que pour de courtes périodes de temps. C'est donc la quantité de situations d'écoute qui est insuffisante pour permettre l'acquisition des habiletés auditives de base.

L'enfant, qui est exposé régulièrement et pour de longues périodes à des jeux d'écrans ou jeux vidéo, développera davantage ses habiletés visuelles et négligera l'entrée auditive qui est généralement moins pertinente au jeu.

Comment reconnaître les élèves présentant des difficultés au plan des habiletés auditives?

L'audition a la fonction de permettre à un individu d'être en contact avec son environnement à tout moment.

Le développement d'un niveau minimal d'habiletés auditives est essentiel pour l'acquisition d'un langage normal, pour l'apprentissage des concepts prérequis a l'école, pour l'apprentissage de la lecture et autres matières scolaires et pour favoriser le développement des relations interpersonnelles et des habiletés sociales.

La liste qui suit énonce des comportements fréquemment rencontrés chez des élèves présentant des problèmes dans la sphère des habiletés auditives :

 


La liste suivante énumère pour sa part les manifestations de difficultés au plan des stratégies et moyens pour l'atteinte des objectifs d'apprentissage:

 

La discrimination auditive

C'est l'habileté qui permet de distinguer les similarités et différences entre les sons, les mots.

L'enfant peut-il juger si les deux sons suivants sont identiques : /p/ - /b/? Pour faire cette opération, l'élève doit comparer chaque trait distinctif caractérisant ces sons:
/p/ : bilabial, oral, occlusif, dévoisé;
/b/ : bilabial, oral, occlusif, voisé.
Dans ce cas-ci, seule la vibration laryngée distingue les deux phonèmes. Peut-il l'entendre?

L'enfant peut-il reconnaître la syllabe identique entre les deux mots suivants: /chapeau/ - /chameau/? Si non, il pourrait mal comprendre des énoncés constitués de mots semblables.

L'habileté à discriminer permet également d'entendre un phonème en particulier, soit en position initiale de mots, soit en médiane ou en finale de mots. Il permet à l'enfant de percevoir les rimes, de juger s'il entend le phonème /r/ dans une combinaison comme /marteau/.

De plus, l'élève doit pouvoir discriminer les sons de l'environnemenL II doit, être sensible aux variables QUALITE et INTENSITÉ de la voix, des bruits. Il doit pouvoir reconnaître des variations de l'intonation qui indiquent l'interrogative ou qui reflètent une émotion particulière.

Cette habileté ne sollicite pas la compréhension mais plutôt la capacité à comparer deux stimuli ou un stimulus et un autre mémorisé. Une bonne discrimination auditive favorise une bonne compréhension.

L'élève qui ne dispose pas d'une bonne discrimination auditive pourra avoir tendance à lire sur les lèvres de son interlocuteur. Il a généralement de la difficulté à épeler et peut présenter des difficultés persistantes d'écriture. Des substitutions de lettres qui ne peuvent provenir d'une mauvaise orientation spatiale proviennent en général d'une mauvaise discrimination auditive.

L'élève pourra répondre de façon incorrecte ou hors-sujet à une question parce qu'il a mal perçu un mot en particulier. Il pourra rester passif face à une demande parce qu'il cherche à comprendre le sens de ce qu'il a perçu et ne pas faire le lien avec la tâche en cours (ex.: -dessine une fleur sur le coussin qui est sur le lit-) - il cherche le •poussin•, mais ne le trouvant pas, il ne dessine rien du tout.

L'enfant ayant une pauvre discrimination auditive pourra éprouver encore plus de difficulté si l'interlocuteur parle à voix faible ou a un débit rapide ou encore si l'articulation de l'émetteur n'est pas claire.

En revanche, il comprendra mieux si l'interlocuteur parle clairement à une intensité moyenne et à débit modéré.

L'attention auditive

L'attention auditive est requise pour de très nombreux apprentissages scolaires. L'enfant, qui éprouve des difficultés à ce chapitre, est généralement distrait lorsqu'on ne sollicite que l'entrée auditive. Il ne peut rester attentif longtemps si l'on n'accompagne pas l'explication de démonstration ou d'indices visuels.

Il pourra faire répéter ou n'exécuter qu'une partie seulement de la tâche ou de la consigne parce qu'il n'a pas traité la deuxième partie. Il se fatiguera beaucoup plus rapidement d'une tâche sollicitant l'écoute. Si on le questionne, il ne sait pas la réponse, ne peut même pas répéter la question,'il est -dans la lune-. Il ne peut sélectionner parmi toutes les stimulations sonores reçues, laquelle est la plus importante. Son écoute se détériore s'il y a plusieurs sources de stimulations visuelles ou auditives. II pourra avoir plus-de difficulté à comprendre la même consigne si elle est adressée à tout le groupe ou individuellement.

Ainsi, pour aider cet élève, il faut s'assurer d'avoir son attention, le nommer, le toucher avant de lui parier. Il est favorable d'alterner les périodes ou matières scolaires sollicitant l'écoute avec d'autres qui permettent à l'élève de •se reposer•.
Il faudra amener l'enfant à prendre conscience qu'il n'a pas écouté, le féliciter s'il demande de répéter ou de préciser la consigne plutôt que de rester passif; l'encourager à réfléchir, à se remémorer la consigne avant de commencer son travail ou avant de répondre.

Au début, on peut exiger des périodes d'attention plus courtes puis augmenter graduellement le délai. Voici quelques pistes d'intervention:
• utiliser un -mot-rappel- pour indiquer à l'enfant qu'on sollicite son écoute et son attention auditive. Par exemple, •prête-moi tes oreilles•
• nommer l'élève ciblé plus souvent pour s'assurer qu'il suit bien l'explication, lui demander d'indiquer à ses pairs •où l'on est rendu?•;
• combiner des modalités visuelles ou kinesthésiques aux consignes orales pour faciliter la gestion de l'attention, utiliser des repères écrits ou illustrés affichés;
• accorder des pauses si des stimulations nombreuses doivent être gérées.

La mémoire auditive

La mémoire auditive implique l'habileté à retenir et à retrouver un matériel présenté par la voie auditive. La mémoire auditive chez un enfant est généralement observable en lui demandant d'exécuter des directives verbales ou en lui enseignant des comptines ou des chansons.

Plus le message est significatif pour l'enfant, plus il a de chances d'être fixé dans la mémoire. Plus le message est complexe ou long, plus la mise en mémoire est difficile.

L'enfant qui présente des difficultés au plan de la mémoire auditive peut ne pas se souvenir des noms de personnes, de lieux qui sont pourtant familiers. 11 ne retient pas facilement des séquences comme l'alphabet, des tables de multiplication, son adresse ou son numéro de téléphone. II doit entendre plusieurs fois les mots nouveaux.

Un élève peut également éprouver de la difficulté à mémoriser la séquence auditive. Cène habileté est différente de la précédente. Le sujet est appelé à retrouver les stimuli dans le bon ordre. Une faiblesse à ce niveau pourra entraîner une difficulté à nommer les jours de la semaine, les mois de l'année, à exécuter une série de directives et même à prononcer correctement des mots polysyllabiques (il pourrait y avoir inversion de syllabes, par exemple). L'épellation est également laborieuse.

Ainsi, pour aider les élèves qui éprouvent plus de difficulté au plan de la mémoire auditive, l'enseignant pourra utiliser des consignes plus simples, plus courtes en s'assurant de ralentir son débit et de répéter plus souvent les mots nouveaux. On peut vérifier régulièrement auprès de l'enfant ce qui vient d'être dit.

Il faut encourager l'élève à intervenir lorsqu'il a perdu un élément de la consigne; il peut demander de répéter ou se servir des indices contextuels pour déduire ou compenser l'information manquante. Il peut également exécuter un balayage visuel, fixant son attention sur les objets nommés, au fur et à mesure que la consigne est donnée. Il pourra donc augmenter ses chances de retrouver la séquence en utilisant un rappel visuel. Des activités sollicitant la mémorisation lui permettront d'augmenter sa capacité à retenir plus d'éléments.

Ainsi, demander régulièrement à l'élève de raconter des événements, des films, sa journée ou une histoire accroîtront aussi les chances de développer une meilleure mémoire séquentielle.

La séparation figure-fond

Le monde sonore est constitué d'une multitude de sons, bruits, voLx, variant en intensité, en hauteur, en modulation, rythme et signification.

La capacité à séparer les messages pertinents des autres bruits est essentielle dans la gestion de l'attention. Un sujet peut éprouver de la difficulté à retrancher les bruits et sons auxquels il ne doit pas accorder d'importance et traiter toutes les stimulations auditives sur le même plan. La difficulté peut également se manifester dès qu'il y a un changement significatif dans l'un des bruits de l'environnement; par exemple, un bruit qui survient subitement ou la voix de quelqu'un qui augmente d'intensité dans le corridor.

De plus, cette habileté fait appel à la capacité à juger de la pertinence ou non d'un message; à discriminer entre l'essentiel et le non-essentiel. L'élève qui se bisse distraire par un bruit subit, doit pouvoir se ramener à la tâche seul. L'élève en, difficulté est continuellement distrait et perd le fil de sa tâche; lorsqu'il y revient, il a perdu beaucoup d'information pour la poursuivre. Pour bien fonctionner dans une classe, un élève doit maîtriser trois habiletés au chapitre de la séparation figure-fond :
1) distinguer les bruits reliés à l'environnement de l'école des autres bruits (cloche, casiers, autobus, sirène);
2) sélectionner la parole en priorité sur les bruits de fond émis par des élèves (pupitres, pieds, corridor);
3) reconnaître la voix de l'enseignant parmi les voix des autres élèves et être en mesure de prêter attention à ce message en particulier.

Certains élèves en trouble d'apprentissage disposent de bonnes capacités d'écoute en situation idéale ou favorable mais voient leur performance chuter dès qu'il y a un contexte de bruit compétitif ou de message compétitif.

Ce problème aura nécessairement des répercussions sur les autres habiletés auditives comme la mémoire auditive et la mémoire séquentielle. L'élève présente alors un problème d'attention sélective en étant incapable d'ignorer les stimuli inutiles.

Cène difficulté peut varier en sévérité et perdurer jusqu'à l'âge adulte en affectant d'autres aspects que le rendement scolaire, notamment les interactions sociales et certaines situations reliées au travail.

Les comportements observables en classe sont: une extrême distractibilité, des demandes fréquentes de répétition en situation bruyante, une plus grande difficulté à se concentrer en présence de bruit de fond, une recherche accrue de support visuel (lecture labiale ou gestes), une diminution de la compréhension des consignes lorsqu'il y a des messages compétitifs.

Pour aider ces élèves, il faut être soi-même sensible au bruit et tenter de le contrôler le plus possible. Voici quelques moyens suggérés: choisir une place préférentielle pour l'enfant, l'éloignant des sources de bruit (fenêtres, corridors, casiers…), s'assurer que l'élève ciblé nous regarde, arrêter la consigne au besoin pour la reprendre quelques secondes plus tard, encourager l'élève à intervenir (ce qui démontrera qu'il aura pris conscience de sa distraction); adopter soi-même des attitudes respectant le tour de parole, évitant ainsi des situations de multiples conversations simultanées; entraîner et encourager l'élève à demander un temps d'arrêt pour lui laisser la chance de compléter l'information mal reçue.

Qui fait quoi et pour qui ?

Il faut bien comprendre que les intervenants scolaires sont les mieux placés pour déceler les comportements qui démontrent une faible compétence à maîtriser les habiletés auditives chez un élève. L'enfant se plaindra rarement de son déficit et initiera peu de démarches pour s'aider si on ne le guide pas.

Des observations étoffées et significatives, qui conscrivent l'ensemble des habiletés développées dans cet article, conduiront à des évaluations complémentaires en orthophonie et en audiologie. Ces dernières pourront confirmer la présence d'un trouble perceptuel auditif et spécifier quels sont les processus les plus touchés. Des interventions appropriées pourront donc être planifiées et mises de l'avant.

Dans des cas où l'atteinte est plus sévère ou plus spécifique, le port d'un système MF peut être recommandé par l'audiologiste. Avec ce support technique, l'élève pourra entendre la voix de l'enseignante en priorité sur les autres bruits ou messages; son attention s'améliorera. De plus, de nombreuses activités pourront être proposées afin de développer des stratégies compensatoires, des attitudes favorables ainsi que de meilleures capacités d'écoute.

L'élève bien entouré, bien soutenu, que l'on aura conscientisé et à qui l'on aura offert une ré-éduca t ion appropriée, évoluera lentement mais sûrement.

Les moyens et stratégies enseignés supporteront les apprentissages et permettront à l'élève de combler ses lacunes,
année après année.

JOURNAL DE L'ASSOCIATION DES ORTHOPÉDAGOGUES OU QUÉBEC INC.
VOLUME 8, NUMÉRO 3
ETE 1996

Bibliographie
GoiCT, Pamela (1993). Auditory Processus Académie Tberapy Publications Plantation, Flo: Impact Publications Inc.

Si vous désirez des références et des documents d'intervention sur ce sujet, vous pouvez écrire à l'adresse suivante : Library of Speech-Language Pathology, A Newbridge Book Club. P.O. Box 6030, Delran, NJ 08075-9681