Par Par Manon Trudel, audiologiste au Centre d’acouphène et d’hypo-hyperacousie
Source : revue L’Oreille bruyante, juillet 2011
Lorsqu’on m’a demandé d’écrire un article sur l’acouphène et l’hyperacousie, je me questionnais comment je devrais aborder le sujet. En tant qu’audiologiste qui aide ces clients depuis 20 ans, j’ai pensé vous expliquer l’évolution non seulement en audiologie, mais aussi de la clientèle incluant ses besoins et ses attentes.
Au début des années 1990, les cas d’acouphène évalués par les audiologistes étaient moins nombreux par crainte parfois d’être étiquetés comme étant des cas psychiatriques souffrant d’hallucinations auditives. Ceux qui en parlaient spontanément étaient nos clients ayant la maladie de Ménière et certains travailleurs dans le bruit. J’avais donc commencé à m’intéresser à ce « nouveau » symptôme. Le RQPA nous confirmait le besoin d’aider une partie de cette population.
À pareille date, la Clinique d’intervention et d’étude de l’acouphène d’Ottawa évaluait et tentait d’aider par une approche holistique les clients acouphéniques. J’ai éventuellement joint l’équipe. Les clients de cause subite (ex. viral) ou d’étiologies traumatiques (ex. accidents de la route et au travail, la surdité professionnelle) rapportaient en plus de l’acouphène et de l’hypoacousie, une hypersensibilité à certains bruits nommée hypersonie ou « recrutement »1,2. Lorsque les niveaux d’inconfort à la voix et aux fréquences tonales de 250 Hz à 8 kHz étaient mesurés, les seuils étaient abaissés. Par conséquent, si certains sons nécessitaient plus d’intensité pour être perçus à cause de l’hypoacousie, un peu plus intenses, ils devenaient inconfortables. Le champ dynamique étant documenté comme étant réduites pour certaines fréquences ou l’ensemble des fréquences de la parole, les prothèses auditives avec ou sans bruit d’assourdissement devaient être ajustées selon les niveaux d’inconfort du client et non pas de la population générale de malentendants3. Les clients et les études cliniques suggéraient en général l’utilisation au coucher d’un ventilateur ou un générateur de bruits environnementaux de table pour aider à assourdir l’acouphène, et l’écoute de la musique de jour pour aider à relaxer et à assourdir du moins partiellement l’acouphène. La musique pouvait être écoutée passivement ou activement, par exemple, en chantant ou en dansant.
Autour de l’an 2000, le processeur de son Neuromonic4,5 tel un MP3 permet au malentendant de degré léger à modéré souffrant d’acouphène d’entendre une musique et des patrons de stimuli acoustiques personnalisés et calibrés selon les résultats obtenus en audiologie. L’objectif est de permettre l’entraînement de nouvelles voies neurales en diminuant la réponse émotionnelle qui a rendu l’acouphène perceptible. La compagnie Widex propose depuis quelques années un instrument porté à l’oreille nommé Zen6 qui génère des harmoniques de tonalités dont la fréquence, le tempo et le volume peuvent être ajustés avec le client afin que cette musique soit aussi relaxante que possible.
En parallèle, depuis les années 1995, certains clients avec acuité auditive normale confirmée à l’audiométrie rapportaient une hypersensibilité anormale au bruit de la vie quotidienne, par exem-ple, les bruits de vaisselle, de klaxon, d’aboiement de chien, des voix, de la musique, à l’intérieur de l’autobus scolaire, à l’épicerie. Selon le Johnson Hyperacusis Quotient7, un client est hyperacousique si la moyenne des champs dynamiques des fréquences de 250 Hz à 8kHz se situe à moins de 90dBHL. La moyenne d’un cas sévère se situerait par exemple autour de 30 à 49 dB. Après évaluation en ORL et un bilan de santé afin d’éliminer une étiologie d’ordre médical, l’audiologiste explique l’importance d’arrêter de se surprotéger les oreilles en demeurant dans le silence et en portant des protecteurs auditifs dans des environnements sonores qui ne créent aucun dommage à l’oreille1. Si l’hypersensibilité affecte la vie quotidienne fréquemment et pour des périodes assez prolongées ou pour des situations d’handicap importantes, l’audiologiste peut intervenir. La thérapie sonore était et est encore proposée pour la clientèle hyperacousique afin de tenter de restaurer le champ dynamique moyen au-delà idéalement du 90 dB à chaque oreille :
1- Pour un client d’hyperacousie léger, il doit éviter le silence en se nourrissant de bruits environnementaux, par exemple, en ouvrant les vitres, en ajoutant un peu de musique relaxante, généralement instrumentale afin de ne pas affecter sa concentration. Selon les Drs Moliner Peiro et al8, lors d’une activité ne nécessitant pas trop de concentration, le client peut écouter à une distance de 1 à 1.5 m des haut-parleurs, un CD d’océan ou de chutes d’eau pendant une durée de 30 minutes par jour. L’intensité est graduellement augmentée de semaine en semaine. Après neuf semaines de traitement, en plus de la diminution possible de l’acouphène, 33 des 34 clients rapportaient une diminution de l’inconfort de l’hyperacousie telle que documentée par les seuils d’inconfort normaux de 100dB.
2- Une technique de désensibilisation au bruit qui exige que le client écoute de 15 à 120 minutes par jour un bruit prédéterminé dont l’intensité sera initialement très faible et graduellement augmentée selon les progrès documentés par l’audiologiste : un bruit de bande étroite à une certaine fréquence, un bruit rose de fréquences variant de 200 à 12 kHz selon la technique du Dr Vernon9, un bruit blanc (bruit s’apparentant à celui d’une douche ou entre-deux postes de radio), ou encore un bruit environnemental tel l’océan. Le client pouvait écouter via des hautparleurs, des écouteurs de CD, d’iPod, MP3 ou encore des générateurs de bruits portés aux oreilles (même s’ils ressemblent à des prothèses auditives, ceux-ci n’amplifient pas les sons externes, mais émettent plutôt un bruit continu)1,2.
Pour les parents d’enfants non verbaux dont certains autistes qui portent leurs mains aux oreilles en présence de certains bruits, par exemple, le malaxeur, la chasse d’eau, la sécheuse, la balayeuse, l’audiologiste peut quantifier la problématique avec des enregistrements de ces bruits afin de déterminer à court terme le protecteur auditif avec le moins de suramplification en attendant que la technique de désensibilisation fasse effet. Pour ces enfants, le mieux est souvent de faire partir le bruit alors qu’il n’est pas dans le champ visuel de l’enfant et de graduellement tenter de le faire tel que la vie quotidienne.
3- L’hypothèse que l’hyperacousie serait possiblement un symptôme neurologique précurseur à l’acouphène qui implique également une activation entre autres du système limbique (réactions émotionnelles), les Drs PJ Jastreboff et Hazel proposèrent de maintenir faiblement l’intensité, à peine perceptible, d’un générateur de bruit blanc porté environ 8 heures par jour, tel qu’ils le recommandaient pour la Thérapie d’habituation à l’acouphène1,2.
Même si le symptôme d’hyperacousie était seulement à une oreille, ces approches visant une désensibilisation au bruit se réalisaient aux deux oreilles. Même si les bénéfices sont rapportés après quelques semaines ou quelques mois, il est généralement souhaitable de poursuivre le traitement pendant un minimum de six mois.
Voici des situations d’handicap pouvant être rapportées qui ne relèvent pas de l’hyperacousie :
i) Lorsque l’inconfort est rapporté pour une situation peu fréquente et d’intensité assez forte (ex. feu d’artifice, un film au cinéma), l’audiologiste le note en recommandant au client le port d’un protecteur auditif approprié pour cette situation.
ii) Lorsque l’audiologiste questionne les clients sur la sensibilité sonore, certains nous expliquent qu’ils aiment le silence et ne recherchent pas les stimuli sonores. La misophonie est une sensation d’agacement, une attitude négative envers le son sans pourtant en avoir peur8.
iii) Les parents doivent éviter que l’enfant ne développe une phonophobie ou sonophobie2,8, c’est-à-dire la peur d’un son avant même qu’il soit perçu, et ce, indépendamment de l’intensité (ex. éléphants au zoo). Ou pour un adulte, la peur qu’un bruit endommage l’oreille. À force d’éviter les bruits et de se retirer dans des environnements trop silencieux, le phonophobique est à risque de devenir hyperacousique.
iv) Le phénomène semblable à trop souvent mettre des bouchons sur les oreilles en absence de bruit important (ex. pour dormir) se retrouve chez certains enfants ayant des otites à répétition. Lorsqu’ils rentrent dans une garderie avec plusieurs enfants, ils peuvent mettre les mains sur les oreilles.
v) Finalement, l’audiologiste peut évaluer le traitement auditif de clients qui s’isolent des situations de groupe ou des enfants qui ne réussissent pas bien à l’école parce qu’ils ont une difficulté à bien percevoir, à bien traiter la parole en présence de bruits ambiants, et non pas dû à un inconfort physiologique.
Depuis quelques années, des études ont été réalisées afin de localiser le foyer d’activation de l’acouphène et de l’hyperacousie via l’imagerie fonctionnelle. En septembre 2010, les résultats de l’étude de Gu et al10, démontrent à l’aide de la résonance magnétique fonctionnelle en présence de sons de diverses intensités que les clients ayant une intolérance aux sons (hyperacousiques légers) avaient une activation corticale plus élevée au niveau du mésencéphale, du thalamus et du cortex auditif primaire que ceux ayant des niveaux de tolérance aux sons normaux, et qu’il n’y avait aucune une corrélation physiologique avec l’acouphène. Ces résultats leur permettent de croire que leurs conclusions émises depuis quelques années et par d’autres groupes de chercheurs reliant les anormalités obtenues à l’imagerie à l’acouphène pourraient être davantage attribuables à l’hyperacousie. Ils suggèrent l’étude éventuelle de la résonance magnétique fonctionnelle de clients avant et après la thérapie sonore.
Malgré tous les efforts, une question primordiale demeure : est-ce que l’acouphène et l’hyperacousie sont des symptômes uniques du système auditif nerveux central ou s’ils ont en communs plusieurs similitudes avec d’autres problèmes neurologiques affectant les champs visuels (ex. sensibilité à la lumière chez les migraineux) et sensoriels (sensation à la pression ou à la température chez les douleurs chroniques)10?
L’avenir nous le dira.
Références :
1- Tabachnick, B. Sound Sensitivity. Tinnitus Today 23 (3): 14-16, sept 1998. Traduction et adaptation en français par Michel Maillot. L’hypersensibilité sonore. L’oreille bruyante. RQPA: 6-9, mars 1999.
2- www.2-as.org/site/fiches/SurdificheS-Hyperacousie-2011-A4.pdf
3- Trudel M, Sirois A, Lamothe A. Noise/tinnitus desensitization training using narrow compression limiting circuits. The hearing Review: 8-14. July 1998.
4- www.vanderbilthealth.com/hearing/20132
5- Davis PB, Paki B, Hanley PJ. Neuromonics Tinnitus Treatment: Third Clinical Trial. Ear & Hearing. Aril 2007.
6- www.widex.com/en/products/thewidexsound/zen
7- Johnson M. A tool for measuring hyperacusis. The hearing J. 52 (3): 34-35, march 1999.
8- Moliner Peiro F, Lopez Gonzalez MA, Alfaro Garcia J, Leach Pueyo J, Esteban Ortega F. Open-field treatment of hypera-cusis. Acta Otorrinolaringol Esp 60 (1): 38-42, 2009.
9- Vernon JA. Pathology of tinnitus: a special case- hyperacusis and a proposed treatment. The Amer J of Otology 8 (3); 201-202, may 1987.