Le trouble de traitement auditif décodé
Mon enfant est dans la lune

 

À neuf ans, Julie expérimente des difficultés d'apprentissage. Voulant comprendre ce qui ne va pas, et ainsi apporter à leur enfant le soutien dont elle a besoin, les parents décident de consulter en orthophonie même si Julie ne présente aucun problème de langage évident.

IL EST POSSIBLE QU'AU DÉBUT DU TRAITEMENT AUDITIF, LE FILTRE QUI NOUS PERMET DE NE PAS NOUS LAISSER DÉRANGER PAR LE BRUIT AMBIANT NE FONCTIONNE PAS DE MANIÈRE AUTOMATIQUE.

Lors de la première rencontre, les parents tracent le portrait suivant du parcours scolaire de leur enfant : en première année, Julie a manifesté des difficultés de lecture. Ils précisent cependant que tout est rentré dans l'ordre au cours de l'année suivante. En troisième année, voilà qu'apparaissent des problèmes de compréhension en résolution de problèmes mathématiques et en lecture. La fillette apprend difficilement les tables de multiplication ainsi que les conjugaisons et lorsqu'elle écrit, c'est parfois au son. On constate qu'elle est distraite et qu'elle est dans la lune.

Les enseignants se questionnent sur l'audition de l'enfant. Ils notent que Julie ne réagit pas lorsqu'on l'appelle Ses parents font le même constat, surtout lorsqu'elle regarde la télévision Toutefois, ils ne se préoccupent pas de cet état de fait : « Vous savez comment sont les enfants! Ils s'arrangent pour ne pas entendre quand vient le temps d'éteindre la télé » Us mentionnent également, qu'au retour de l'école, la petite se plaint souvent de maux de tète. Notre évaluation porte à croire que nous sommes en présence d'un trouble de traitement auditif (TTA). auparavant nommé trouble de l'audition centrale (TAC). Les parents réagissent en rappelant que les tests d'audition périphérique passés par leur enfant en maternelle, étaient tout à fait normaux.

Alors, que penser de l'hypothèse de trouble de traitement auditif que nous avançons, suite aux divers tests passés par l'enfant, parallèlement à ce test d'audition périphérique ne démontrant aucune anomalie? Pour bien comprendre la différence entre ces deux niveaux d'audition, il est important de savoir qu'un trouble de traitement auditif, n'a rien à voir avec la capacité des oreilles à bien ou mal entendre, mais que c'est plutôt le traitement auditif qui ne se fait pas adéquatement. Le traitement auditif nécessite en effet de bien entendre, mais également de bien porter attention aux informations auditives importantes tout en ignorant les bruits ambiants. Ensuite, il faut décoder les sons de la parole un à la suite de l'autre et les fusionner pour en faire des mots qui pourront être organisés en phrases. C'est ainsi que les informations auditives sont intégrées aux expériences vécues. Des liens sont ensuite créés avec le langage et la mémoire.

Ainsi, il est possible qu'au début du traitement auditif, le filtre qui nous permet de ne pas nous laisser déranger par le bruit ambiant ne fonctionne pas de manière automatique Une personne ayant cette difficulté au niveau de la séparation figure-fond, aussi nommée attention auditive sélective, ne pourrait lire un livre si elle ne bloque pas intentionnellement tous les bruits extérieurs (quelqu'un qui tousse, une chaise qu'on recule, un camion qui passe dans la rue...). En n'effectuant pas ce blocage intentionnel, elle est sans arrêt distraite par tous les bruits environnants.

Revenons au cas de Julie. Le seul moyen dont elle dispose pour suivre une émission de télévision est donc d'interdire tous bruits la distrayant. Alors, quand papa ou maman l'appelle pour le souper. Julie, étant une enfant TTA, n'entend rien et ne réagit pas. Ses parents doivent répéter plusieurs fois, en haussant la voix, avant d'attirer son attention. Notez cependant que cette situation n'est pas vraie pour tous les enfants TTA.

La personne TTA est excessivement sensible aux bruits ambiants. Ces bruits la distraient, elle est au courant de tout ce qui se passe autour d'elle et se retourne plus souvent que ses pairs pourvoir la source des bruits perçus. Non seulement les bruits la dérangent, mais ils sont aussi source de fatigue. Dans un milieu bruyant, il n'est pas rare qu'elle développe un mal de tête, ou même un mal de ventre.

Quand nous comprenons les mécanismes régissant le trouble de traitement auditif chez les personnes qui en souffrent, il est facile de comprendre les problèmes d'un enfant 1TA, vivant dans une classe de première, deuxième ou troisième année du primaire. Imaginez le bruit que peuvent faire des équipes d'enfants effectuant une recherche; ils parlent, rassemblent l'information et décident qui fait quoi.

Loin de moi l'idée de donner l'impression que les enseignants n'ont pas le contrôle de leur classe ou que l'école est un marché aux puces, mais il faut admettre que dix-neuf à vingt-cinq élèves de deuxième année dans le même local et travaillant en équipe peuvent parfois être bruyants.

On constate aussi que certains enfants TTA éprouvent de la difficulté à s'organiser dans le temps ce qui rend difficile la planification de leur travail. Combien de fois arrivent-t-ils à la maison avec un travail à remettre dans deux jours alors qu'ils ont les informations pour ce devoir depuis déjà deux semaines?

Parfois, cet enfant est incapable de faire son plan de travail dans le temps requis. Il ne faut cependant pas généraliser cette dernière situation, car tous les enfants en trouble de traitement auditif ne vont pas développer cette difficulté. Ceux qui ont un enseignant ou des parents très bien organisés, parviennent à surmonter ce handicap.

Il est essentiel de bien comprendre que tous les enfants TTA doivent faire un effort constant pour se recentrer sur le message de leur enseignant, et ce, à tout moment de la journée. Il en résulte une plus grande fatigue d'où le besoin de refaire le plein d'énergie en s'évadant un peu. Les voici donc dans la lune, sans même s'en rendre compte; ils décrochent. On constate aussi que, rentrés de l'école, ces enfants ont tendance à s'isoler dans leur chambre. Ils ont besoin de calme. Certains apprécient aller dîner chez eux ou chez un ami afin d'être dans un environnement calme. Pourquoi se fatiguer encore plus dans une cafétéria bruyante? Marcher leur fait également beaucoup de bien.

L'enfant TTA peut ainsi avoir une moins bonne attention auditive que ses pairs. Si nous lui parlons trop longtemps, nous perdons rapidement son attention. Il continue à nous regarder, mais son regard devient vide, et nous devinons qu'il n'est plus là.

LES DIFFICULTÉS DE LANGAGE DE L'ENFANT PRÉSENTANT UN TROUBLE DE TRAITEMENT AUDITIF À L'ÂGE PRÉSCOLAIRE SONT SOUVENT NÉGLIGÉES.

Pour d'autres enfants, la faiblesse du traitement auditif influence la mémoire auditive séquentielle qui est faible. Ils mémorisent difficilement les tables de multiplication, les conjugaisons, les jours de la semaine, les mois de l'année, leur numéro de téléphone et leur adresse... Ceci pose problème lorsque la consigne est séquentielle et nécessite de mémoriser plusieurs éléments ou de faire plusieurs actions consécutives. Sitôt levés, le cahier en main, ils ont oublié ce qu'on leur demandait. De ce fait, en classe, ils ont plus de difficulté à mémoriser de longues explications ou des consignes nécessitant plusieurs actions.

En orthophonie, dans des tests de compréhension de consignes, le premier triangle noir et le grand cercle pointé, ils demandent souvent que l'on répète la consigne Cette faiblesse de la mémoire séquentielle explique également leur difficulté dans la production orale des mots de quatre, cinq syllabes. Ces enfants doivent habituellement s'y reprendre à deux fois avant de parvenir à dire des mots plus longs, qu'ils soient familiers ou non.

Pour certains, la mémoire auditive est faible et pour d'autres, cette affirmation n'est qu'à demi-vraie. De manière générale, il leur est souvent difficile de répéter des phrases assez longues. Ils débutent, hésitent, et ne savent plus La phrase complète s'est effacée.

Certains enfants vont répéter immédiatement la phrase, mais ils ne doivent pas hésiter, sinon c'est fini. Quand la phrase à répéter s'allonge, c'est l'échec total. Ils ne parviennent plus à assembler les mots restants et à leur donner un sens. C'est souvent tout ou rien. Même s'ils parviennent à développer suffisamment leur mémoire auditive immédiate, certains enfants TTA n'en seront pas plus fonctionnels face aux consignes données par l'enseignant. Plus vieux, ils auront beaucoup de difficultés à suivre les dictées de phrases, sautant des mots ici et là. Puis, au secondaire, ils auront de la difficulté à prendre des notes alors que l'enseignant continue de parler.

Autre caractéristique de l'enfant TTA : il décode mal les sous-entendus et les non-dits. Chez lui, les blagues sont analysées avec lenteur et c'est parfois lorsque tout le monde a fini de rire, qu'il vient tout juste de comprendre.

Lorsqu'on dresse le portrait langagier de ces enfants, on réalise également que leur nabileté en langage est bien mince et on les entend souvent dire, lorsqu'on les oblige à argumenter, qu'ils savent ce qu'ils veulent dire, mais qu'ils ne parviennent pas à exprimer leur idée. « Je sais, mais je ne sais pas comment le dire! » Leur utilisation du langage dans ses fonctions complexes est pauvre Ces fonctions complexes du langage portent sur l'habileté à utiliser le langage afin de narrer un fait vécu de manière cohérente, de décrire, d'expliquer de manière cohérente et séquentielle des règles de jeu, de résumer, de reformuler en leurs propres mots, de verbaliser leurs sentiments, d'arriver à des compromis, etc.

On se rend compte que leur discours manque de cohésion, qu'ils perdent parfois le fil de leurs idées en cours de discussion et qu'ils démarrent avec des détails au lieu de présenter leur sujet. Si vous leur demandez de raccourcir, ou d'aller droit au but. il n'est pas rare de les voir se plaindre qu'ils ne sont jamais écoutés et ils repartent de nouveau du point zéro, en utilisant le même développement aussi inefficace que la fois précédente.

Les difficultés de langage de l'enfant présentant un trouble de traitement auditif à l'âge préscolaire sont souvent négligées parce que peu dominantes telle la difficulté d'articulation de certains sons, difficulté persistant un peu plus longtemps que chez les autres enfants.

Ces enfants parlent parfois beaucoup, de véritables moulins à parole. Toutefois, leur discours manque de concision ou de cohérence. Les parents étant habitués, finissent par comprendre à l'aide de questions supplémentaires et ne s'inquiètent pas plus qu'il ne le faut de la situation.

En maternelle et en première année, les enseignants commencent à mentionner que ces enfants n'écoutent pas aux bons moments, qu'ils sont dans la lune. Leur habileté à performer dans les tâches faisant appel à de la conscience phonologique (jouer avec les sons comme de trouver deux mots qui riment, de savoir par quel son un mol commence ou finit, le son commun à deux mots ..) est plus faible que celle de leurs pairs Ils ont souvent de la difficulté à mémoriser leur date de naissance, leur adresse et leur numéro de téléphone.

En première année, apparaît souvent la difficulté à lire. Les enfants TTA demandent fréquemment qu'on répète les consignes et ils sont parfois un élément perturbateur dans la classe, s'occupant de tout sauf de leur travail Ils sont peu autonomes, ne finissant pas le travail entrepris. Leur difficulté à apprendre à lire s'explique par l'immaturité de leur système auditif central. Ils perçoivent moins bien les sons, surtout ceux qui se ressemblent.

L'enfant TTA qui parvient à survivre dans le système scolaire est celui qui a développé des moyens de compensation et des routines II fonctionne par le biais d'une approximative rigidité. Pas question de lui changer ses routines. Il est perdu lorsqu'arrive un imprévu.

Sur le plan social, comme il a de la difficulté à entendre dans le bruit, ce qui le fatigue, il préfère jouer avec un ou deux amis. Ne nous étonnons pas! Imaginez toute l'énergie que doit déployer un enfant TTA pour suivre une conversation dans un groupe où tout le monde veut parler en même temps et où l'on se coupe constamment la parole.

EN PREMIÈRE ANNÉE, APPARAÎT SOUVENT LA DIFFICULTÉ À LIRE. LES ENFANTS TTA DEMANDENT FRÉQUEMMENT QU'ON RÉPÈTE LES CONSIGNES ET ILS SONT PARFOIS UN ÉLÉMENT PERTURBATEUR DANS LA CLASSE

Pour certains enfants, les véritables problèmes scolaires n'apparaissent qu'en en troisième année : l'année où l'on doit gérer plus de compréhension de texte et d'inférence, où l'on commence à devoir résoudre des problèmes mathématiques plus complexes, à apprendre les tables de multiplication et les conjugaisons Évidemment, si cet enfant ne perçoit pas bien la différence entre les sons « é » et « è » et qu'en plus, il a des difficultés séquentielles, il apprendra difficilement à conjuguer les temps des verbes.

Le parent d'un enfant TTA doit le seconder, i'encadrer et si cet enfant survit dans le système scolaire, c'est parce qu'il travaille plus qu'un autre enfant Malgré tout, il va généralement de déceptions en déceptions. Ce test de lecture qu'il pensait avoir si bien réussi, ne lui vaut qu'un C. Pourtant, il était certain d'avoir le B tant convoité Décevant pour lui
surtout qu'il ne réalise pas qu'il analyse la cause de son échec : une mauvaise analyse des questions qu'on lui pose ou qu'il lit. Il a de plus de sérieuses difficultés de compréhension du texte

Comment faire la différence entre les symptômes du TTA et ceux du trouble de l'attention (TOA/H) ? Manon Trudel, audiologiste du Centre d'acouphéne et d'hypo-hyperacousie à Terrasse Vaudreuil, donne la piste suivante « Les réactions de l'enfant TDA/H et TTA sont différentes lors des tests évaluant le traitement auditif. Le TTA se fatigue rapidement et davantage durant la passation des épreuves difficiles pour lui, alors que l'attention de l'enfant TDA/H est variable tout au long des épreuves Ainsi, l'enfant avec le TDA/H peut réussir une tâche plus difficile parce qu'il a la capacité de se recentrer sur la tâche. La performance de l'enfant TTA lors des tests d'attention auditive sélective se détériore au fur et à mesure que le ratio du signal à écouter devient plus faible que le niveau de bruit. Dans certains cas, l'avis d'un neuropsychologue peut s'avérer précieux afin de vérifier si l'attention visuelle sélective est également atteinte. Dans le cas contraire, et en l'absence de difficulté de mémoire et d'attention visuelle, l'enfant aura probablement un diagnostic de difliculté de traitement auditif. Lorsque les modalités auditives, visuelles et kinesthésiques sont atteintes au niveau de l'attention et de la mémoire, l'enfant est plus susceptible d'avoir un diagnostic de TDA/H. Évidemment, il peut exister une morbidité entre les deux troubles, c'est-à-dire que certains enfants peuvent présenter un TTA et un TDA/H. »

Madame Trudel offre aux parents de réévaluer les épreuves manquées avec une prise de médicaments dont la posologie est jugée adéquate pour l'enfant. Si l'enfant et l'enseignant notent que l'enfant se sent mieux, qu'il est plus concentré, moins impulsif, Madame Trudel suggère de compléter un mois d'essai avant de conclure au succès de la médication, car il arrive que cette médication ne soit pas aussi miraculeuse après un certain temps. Évidemment avec la médication, les enfants TTA décrochent moins durant les évaluations difficiles, mais celles-ci demeurent difficiles pour lui, alors que le TOA/H peut, selon l'âge, performer presque comme un enfant de son âge n'ayant aucun problème d'audition. Madame Trudel pense également que « plus l'enfant TDA/H est vieux avant sa prise de médication, plus il y a de possibilités qu'il ait manqué certains apprentissages à l'école et des expériences auditives ». Il peut alors avoir des difficultés généralisées qui nécessitent des interventions dans plusieurs sphères du traitement auditif. Par contre, il récupère rapidement à l'intérieur d'un an, alors que le TTA, même après un an d'intervention, doit souvent suppléer avec des stratégies ou moyens compensatoires, par exemple en utilisant un système d'amplification personnelle à modulation fréquentielle (FM)».

Que faire lorsque l'on pense faire face à un cas de TTA? Une première démarche consiste en une évaluation en audiologie afin de comprendre les difficultés réelles vécues par l'enfant. Ensuite, un plan d'aide tenant compte des difficultés relevées à l'évaluation devra être mis en place. L'aide de l'orthophoniste peut s'avérer un atout dans le cheminement de l'enfant, étant donné l'incidence de ce trouble sur le développement du langage tant à l'oral qu'à l'écrit. L'enfant TTA bénéficierait certainement d'un entraînement auditif offert par un audiologiste. Il serait également utile de penser à un suivi par un ergothérapeute (les difficultés de motricité fine étant fréquentes chez ces enfants) et parfois par un psychologue ou un psycho éducateur. Enfin, l'utilisation d'un système d'amplification personnelle FM peut aider certains enfants TTA à mieux performer en classe.

Le trouble de traitement auditif, encore peu et mal connu, est beaucoup plus fréquent que l'on pense. Il est habituel chez les enfants présentant des troubles d'apprentissage. Il peut exister en concomitance avec d'autres troubles. Par exemple. 50 % des enfants dyslexiques présentent un TTA. Une intervention hâtive et adéquate auprès des enfants comme Julie atteints de trouble de traitement auditif leur assurera une plus grande autonomie et une meilleure qualité de vie puisqu'ils seront mieux armés pour composer avec leur handicap.

REFERENCES :
Ordre des Orthophonistes et Audiologistes du Québec. Pour localiser un audiologiste ou un orthophoniste : 514-282-9123 ou www.ooaq.qc.ca

Les centres de réadaptation tels que l'institut Raymond Dewar à Montréal (514-284-2581).
Le Centre Montérégien de Réadaptation (450-676-7447) et le centre de réadaptation Le Bouclier.
(Ces centres offrent certains services d'intervention auprès des enfants TTA. de leurs parents et des divers intervenants).

Manon Trudel, audiologiste et Myriam Mathon, orthophoniste
au 514 425-1554
www.centredacouphene.ca